Le Tour de France est assurément le seul événement qui peut illustrer les raccourcis de l’histoire, de remettre en lumière des éléments qui ne concernent pas seulement sa partie sportive. Cette arrivée inédite dans le fief du Général de Gaulle provoqua parmi les suiveurs quelques frissons, même si pour la plupart d’entre eux, l’évocation du fondateur de la Ve République n’appartenait qu’aux livres, aux photos, à la voix éternelle de ce grand homme de la liberté.
Tous les suiveurs, même étrangers à l’Hexagone, doux euphémisme en ce week-end crucial pour la démocratie française se disaient que le Général a dû se retourner plusieurs fois dans son mausolée de Colombey-les-deux-Eglises à la lecture des résultats des élections, dont le deuxième tour animera la journée dominicale, en même temps que l’étape dessinée autour de Troyes.
Et pour ajouter une symbolique plus forte encore au décor ambiant, on se disait en regardant son sourire tellement contagieux que Biniam Girmay ne pouvait mieux qu’un autre symboliser l’intégration que le monde moderne semble vouloir repousser, refuser ou exclure, comme si nous étions revenus 100 ans en arrière. Le « black » de l’équipe belge Intermarché-Wanty nous avait soufflés à Turin, car le sprint en face du stade olympique était moyennement à son avantage. En revanche, il a pris ses responsabilités de leader dans une arrivée qui lui collait comme un timbre estampillé entre l’Erythrée et la Belgique. Une enveloppe postée par une équipe belge entièrement soumise aux mollets chauds de son héros emmenée à la perfection dès la flamme rouge et qui trouva, en outre, un lead out inespéré avec les coureurs de la formation… Cofidis.
« Bini », dont le parcours en vert sur ce Tour se transforme en voie républicaine (lire par ailleurs) n’a même pas eu besoin de forcer son talent pour devancer nos deux Belges, Jasper Philipsen, toujours à zéro pointé, et Arnaud De Lie, dont l’apprentissage sur l’épreuve se déroule à vitesse grand V. L’Ardennais a fait rouler son équipe toute la journée, il a très rarement quitté le top 10, même dans les portions de course sans difficulté mais au moment crucial, il n’avait plus d’équipier, simplement son talent à lui qu’il ne cesse d’exporter à bon escient. Et cela devrait finir par payer.
La frustration d’Arnaud De Lie, devant toute la journée
« Je suis frustré, dira-t-il à l’arrivée. J’étais bien toute la journée, l’équipe a fait ce qu’il fallait et, mais final, je suis encore bloqué. En fait, je ne suis même pas sûr d’avoir sprinté car je ne pouvais plus me frayer une ouverture, ce qui ne m’empêche pas de faire troisième. C’est râlant mais je préfère d’abord revoir les images avant de tirer les conclusions. »
La frustration belge, qui se prolongeait aussi pour Philipsen, cette fois classé, pourrait trouver un dénouement plus agréable ce dimanche avec une étape qui fait peur aux leaders du classement général. 32 kilomètres de chemins blancs sont au programme d’une spéciale de rallye autour de Troyes. De quoi susciter un pétard de Pogacar ou transformer le bazar au profit des crossmen comme van der Poel et van Aert ? Ou sourire plus simplement à un pur sprinteur ? En tout état de cause, Biniam Girmay se verrait bien tripler l’affaire car, finalement, il est aussi à l’aise que tous les autres sur ce genre de pièges, a fortiori gonflé à bloc par deux succès et un maillot vert qu’il conservera, sauf effondrement, jusqu’à Nice, et non Paris, comme il l’a dit samedi en s’esclaffant de sa propre maîtrise.
« Ma fierté, c’est celle-là, d’avoir gagné une étape avec le maillot vert. Le rêve se poursuit et j’avoue en profiter un maximum. »