C’est sans doute ça, la plé- nitude. Une victoire qui illumine une journée si sombre que même un Zurichois se serait perdu dans la vieille ville. L’impression que rien ne peut vous arriver même quand les éléments se déchaînent. Un sentiment, envoûtant, de maîtrise et totale lucidité, qui évite de se perdre en route. Lotte Kopecky, à 28 ans, est probablement au sommet de son art, au zénith de sa maturité d’athlète, parfaite de justesse tactique et émotionnelle.
L’Anversoise n’était pas dans une journée faste, ce samedi en Suisse, mais elle a pourtant reconduit son titre mondial, un bis que la Néerlandaise Marianne Vos avait été la dernière à réussir, il y a une bonne dizaine d’années (2012- 2013). Ce sacre, le 48e de sa carrière sur route, est marqué du sceau de la force mentale. Celle-ci l’a habitée d’un bout à l’autre d’une épreuve de 173 kilomètres disputée sous une pluie battante et dans le froid. Elle l’a surtout aidée à ne pas paniquer en traversant des moments compliqués sur le plan physique : « J’avais chaud dans les ascensions, très froid dans les descentes, je souffrais dans les faux plats » dira-t-elle, les lèvres bleuies par la météo mais le regard plus clair que jamais. Enfin, cette solidité psychologique lui a permis de gagner la bataille dans laquelle la Néerlandaise Demi Vollering s’est fébrilement égarée.
Au mental plus qu’au physique
Favorite comme Lotte, mais bien plus fragile sur le plan mental, elle qui court éperdument après un premier maillot arc-en-ciel, le Batave a une fois de plus perdu le bras de fer qui l’opposait à sa future ex-équipière belge (Volle- ring quittera SD Worx pour la FDJ en 2025). « Je savais combien Demi voulait absolument ce titre mondial » résumait l’Anversoise, en train de signer les maillots irisés qui seront distribués aux sponsors. Misant sur l’impatience de la Batave, Lotte a joué au bluff et gagné. « Demi a réagi à l’attaque, impressionnante, d’Elisa Longo-Borghini et bouché le trou. Sans ce mouvement, je ne serais probablement jamais revenue à l’avant… »
Coup de maître tactique réussi par une snipeuse, maître des codes et de ses émotions. Surpuissante dans l’emballage final (ficelé devant l’Américaine et l’Italienne Longo-Borghini), Lotte Kopecky a ainsi remporté sa 14e victoire de la saison 2024 (Strade Bianche, Paris-Roubaix, deux titres de championne de Belgique, Tours de Romandie et des Émirats…), outre une médaille de bronze lors de la course en ligne des JO de Paris. Au bout d’une journée frigorifique, elle avait évidemment une pensée, très émue, pour la famille de la jeune Suissesse Muriel Furrer, tragiquement disparue ce vendredi après une chute la veille.
« Jamais des parents ne devraient être confrontés à ce drame ». Et des mots chaleureux pour son équipière Justine Ghekière (7e, après avoir constamment mené combat à l’avant) et une équipe belge collectivement parfaite. La plénitude, on vous disait…
